... la plaie des agences de communication

Signe d’un changement des mentalités ou simple coup de chance, nous venons de répondre récemment à une consultation qui nous a un peu réconciliés avec les pratiques du métier.
Je m’explique : le chat noir de la profession, la peste noire des agences, la petite vérole des studios créa, c’est la CONSULTATION.
Depuis son origine, à une époque où la créativité s’affichait en maillot de bain fluo sur fond de lagon bleu et où les règles de la concurrence étaient aussi tranchantes que les canines des Yuppies qui régnaient en prédateurs sur la jungle du marketing, la consultation repose sur un principe simple : “il ne doit en rester qu’un”.
D’un côté, un client et son projet. De l’autre des agences triées sur le volet pour leur talent (ça, c’est ce qui est écrit sur le carton d’invitation) et conviées à donner le meilleur d’elle-même en produisant gratuitement les maquettes les plus créatives avec effet wahou de rigueur, afin d’obtenir le maximum de points lors de la fastidieuse Présentation devant les jurés et décrocher finalement la timbale.


Cette présentation tant redoutée, c’est ce qu’on appelle le “Pitch” : une mise en scène de notre travail à grands coups de story telling plus ou moins alambiquées, où le créatif fébrile et les mains moites, dévoile son concept à petit feu, jusqu’à la révélation finale du visuel tant attendu, sensé décrocher la petite étoile au fond des yeux du jury.*
L’avantage pour le client, hormis faire son marché en goûtant gratuitement les marchandises proposées par une dizaine de concurrents (minimum), c’est surtout de se retrouver le temps d’un examen dans la peau de Philippe Etchebest et pour le créatif-concurrent d’accéder à ce petit kiff, ce frisson d’adrénaline mêlé d’angoisse, justifiant à lui seul l’exception d’une profession artistique exempte de routine.
La consultation rassemble donc ces 2 protagonistes au cœur d’un reality show professionnel qui n’a souvent rien à envier à ceux de la TNT.

Vous me trouvez amer et sarcastique ?
Vous avez raison.
Mais attention, je ne vais pas tendre le bâton qui va servir à me rosser (ou un truc dans ce genre…) car on peut légitimement retourner le problème en me répondant : “takapas participer alors !?”
Je ne vais donc pas m’aventurer sur le délicat terrain du contexte économique et remettre sur le tapis l’éternel débat autour des consultations gratuites. Nombre d’écrits, articles et autre manifestes syndicalistes ont largement contribué à sensibiliser les donneurs d’ordre mais aussi les créatifs indépendants ou agences, sur cette discutable pratique.

Remplacer le challenge par l’échange

Je voudrais plutôt reprendre les réflexions de Blair Enns, consultant canadien spécialiste des entreprises créatives, auteur d’un livre “Win without pitching” (Gagner sans idées gratuites). Ce gars plein de bon-sens, démontre que ce système ne peut être ni juste, ni efficace, puisque les rôles sont inversés.

Côté du créatif :
Avouons-le, le pitch (la présentation) est une épreuve jouissive. Surtout lorsqu’on en ressort vainqueur. Certes, cet instant est source de stress, de peur et de doute mais il reste pour notre ego un aboutissement en soi lorsque nous somme choisi, élu parmi les nôtres… Il sollicite et titille notre instinct de compétition et notre estime personnelle dans un jeu où nous pouvons nous frotter et nous comparer aux concurrents. Le problème en définitive vient donc bien souvent du créatif, qui estime que tout repose sur son talent et que ce talent fera la différence…

Côté client :
L’argument utilisé par l’instigateur d’une consultation est à chaque fois le même : comment savoir à quoi va ressembler la proposition de l’agence que je vais engager ? J’ai besoin de savoir ce que j’achète et je ne veux pas investir de l’argent dans un projet d’image sans aucune idée du résultat final. De la même manière qu’on commande une voiture, ou tout autre produit, le client a besoin de “voir” ce qu’il achète. Sa vision de notre travail se résume donc au produit fini (visuel, logo, etc…) plutôt qu’à une prestation de service. Alors que la création que nous livrons au terme d’une mission, n’est que l’aboutissement d’une longue phase d’étude et c’est cette étude, cette analyse menée avec le client que nous devons valoriser.
Autre point crucial, dans cette distribution des rôles : il prend la place du décideur, du meneur de jeu. C’est lui qui fixe les règles et à nous d’user de nos plus fins stratagèmes pour faire pencher la balance en notre faveur. Vu de ce côté, c’est lui qui détient la clé et à nous de lui présenter la bonne serrure.

D'accord, mais alors ?

Dans un processus normal, le client est en position de “demandeur”. Il a un problème de communication, de stratégie ou d’image et il est à la recherche de l’expert qui va l’aider à solutionner son problème. La logique voudrait que le processus passe par un échange, une conversation qui débuterait par la description du contexte et de la problématique et qui aboutirait à la prescription du spécialiste. La bonne démarche repose donc sur une analyse collaborative où le client tient un rôle actif auprès du professionnel, en croisant les réflexions et en avançant en parallèle car lui seul connaît sa marque, son produit ou son entreprise.
Pourquoi entrer dans un dispositif où il prend la place du juge capable de décider quelle réponse sera la meilleure alors que justement il ne le sait pas ? Est-ce que l’étendue du choix à sa disposition l’aidera à déterminer quelle projet est le plus approprié ? C’est plus souvent l’inverse, avec un sentiment de noyade face à toutes les solutions.
A nous donc d’inverser les tendances et reprendre le contrôle dans cette distribution des rôles en nous re-positionnant comme experts spécialistes et en valorisant cette expertise autant que le résultat final.

Et pour finir, je viens témoigner que ma vision n’est pas celle d’un graphiste idéaliste biberonné aux bisounours, car comme évoqué en début d’article, nous venons de répondre à une consultation “intelligente” qui s’est déroulé plus ou moins dans les conditions décrites ci-dessus : aucune obligation de fournir un projet mais un descriptif de notre méthodologie face à la demande spécifique du client. Sans apporter toute une réflexion et une analyse poussée, le cahier des charges demandait simplement de décrire notre approche et éventuellement nos suggestions face à la liste des futurs outils que le client pensait déployer.
Ce n’est pas une révolution en soi, mais certainement la preuve d’une petite avancée des mentalités dans une corporation où quand on voit ce qu’on voit, et qu’on entend ce qu’on entend, c’est bien normal de penser ce qu’on pense.

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